PAM met en ligne sur sa chaîne YouTube le troisième épisode de la série Paris c’est l’Afrique de Philippe Conrath (1989). Une plongée dans l’univers mandingue, avec ses griots et ses rebelles. Rendez-vous avec Mory et Manfila Kanté, Salif Keïta, Alpha Blondy, Nahawa Doumbia…
« Les blancs ont fabriqué le magnétophone, la télévision, la radio… mais rien ne peut remplacer un griot », explique Kanté Manfila, le génial guitariste et arrangeur qui fit, entre autres, les beaux jours des Ambassadeurs du Motel. Dans l’épisode 3 de Paris c’est l’Afrique, il explique l’importance de cette caste dont lui comme Mory Kanté sont les héritiers. Ce dernier est alors en train de voir sa chanson « Yeke Yeke » exploser dans toute l’Europe, se classant pour longtemps au sommet des hits parade. « Ça m’a touché que ça arrive à moi, un Africain, un griot… », explique Mory Kanté, ému. Vingt ans — ou presque — plus tôt, il entrait au Rail Band comme balafoniste, avant d’y remplacer Salif Keïta au chant lead. Kanté Manfila revient d’ailleurs sur la rivalité entre le Rail Band et les Ambassadeurs, entre les qualités de parolier du griot Kante, et l’inoubliable voix du rebelle Salif Keïta. Rebelle, le jeune Salif l’était de fait, puisque sa condition de noble, descendant de Soundiata, lui interdisait de chanter ou de jouer d’un instrument.
À Djoliba, chez le père de Salif Keïta
Et voilà qu’apparaît le père de Salif à l’écran. Des images rares, sinon inédites. Nous sommes dans le village de Djoliba, au bord du Niger, où Salif a grandi. Son Vieux, en tenue traditionnelle de chasseur, muni de son chasse-mouches et de son fusil, se souvient du temps où Salif « procédait au jeu de cache-cache pour jouer la guitare » sans que son père ne le voie. Quelques décennies plus tard, Salif est à Paris, et sa carrière en plein boom. Son récent album Soro (Syllart), arrangé par François Bréant et Jean-Philippe Rykiel, est une réussite. Dans Paris c’est l’Afrique, il raconte son arrivée en France : « Je me suis trouvé devant un mur, et ce mur c’était le show-business, mais j’avais pas de marteau pour casser ce mur. C’était pas avec la force qu’il fallait le casser, mais avec l’expérience, et la connaissance de ce milieu. » Et c’est précisément ce que Salif a fait à Paris, estime Philippe Conrath trente ans plus tard : « (À Paris) Salif est obligé de se créer un nouveau rapport au temps, quand tu veux sortir des chansons ici il faut faire trois minutes, ‘Mandjou’ ça en fait dix ! » À l’écran, Salif poursuit : « ici, il faut que tu dises l’essentiel en un rien de temps (…) tu apprends des choses qui peuvent t’être utiles, et tu peux retrouver ça chez toi. Si tu as les deux (la tradition mandingue et cette manière de faire, NDLR) c’est super ! » C’est aussi, mais d’une autre manière, la raison de la présence d’un autre rebelle dans la capitale française. Son nom, Seydou Koné, alias Alpha Blondy.
Lui vient à Paris comme il irait à Marcory, avec peut-être la possibilité de prendre du recul et d’échapper aussi à son pays où il est déjà bien trop connu. Et le foulosophe d’expliquer, avec un sens de la formule qui n’appartient qu’à lui, une réalité très simple mais que la France a mis du temps à comprendre (l’a-t-elle d’ailleurs vraiment comprise ?) : celle du métissage. Alpha est un métis culturel, fait d’identités multiples qui ont chacune leur langue : le français, l’anglais, le malinké. Lui est fait de tout cela à la fois, et il conjugue le verbe « être Alpha Blondy à la première personne » ! Ses propos sont accompagnés par le clip de la chanson « Sweet Fanta Diallo », tourné en France, dans un enthousiasme qui transpire encore des images.
Le film se termine à Bamako, chez une autre rebelle, cette fois-ci du Wassoulou. Nous voici à Bougouni, dans la région de Sikasso, au sud du Mali. Nous sommes chez Nahawa Doumbia, la cantatrice qui, comme Salif, n’était pas supposée chanter. C’eut été dommage. Accompagnée à la guitare, entourée d’une ribambelle de gamins, elle offre au film sa conclusion et un moment de grâce. Bientôt, elle sera produite par Cobalt, le label que relance Philippe Conrath en 1989, quelques mois avant de fonder le festival Africolor.
En 2019, à la faveur du trentième anniversaire d’Africolor, Conrath redécouvrait ces films qu’il avait enterrés dans un coin sombre de sa mémoire, et racontait à PAM : « en les revoyant, tu t’aperçois que c’est toute ta vie. Ces musiciens, cette culture, cette musique ont fait ma vie professionnelle, et même mon économie. C’est grâce à Mory Kante que j’ai monté ma boîte (Cobalt), car il avait demandé à son éditeur — Francis Kertékian — de me filer une part d’édition de « Yeke Yeke » pour me remercier d’un service que j’avais dû lui rendre. Pour lancer mon label, je n’ai pas eu besoin de m’endetter. Ma banque, ça a été Mory Kanté ! » Qu’un griot puisse financer un rebelle ?! Pour arriver à de tels résultats, il faut carburer à l’énergie vraiment renouvelable, celle des relations humaines. On le sent : ce sont aussi elles qui ont fait Paris c’est l’Afrique.
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